Histoires de jeunesses

Un état des lieux de la jeunesse

Habitat en Région s’intéresse à la jeunesse – ce rapport d’activité en est le témoignage le plus récent – qu’il se représente comme un parcours d’accès à l’autonomie plutôt que comme une catégorie de population définie par l’âge ou l’activité. Ce parcours est jalonné de seuils à franchir pour devenir « adulte », soit former un ménage, trouver un premier emploi, avoir son propre logement, en d’autres termes pour accéder à l’autonomie familiale, professionnelle et résidentielle. Notre priorité, d’emblée, a été de nous poser cette question cruciale : en quoi pouvons-nous être utiles ?  

De quelle jeunesse s’agit-il d’ailleurs ? Des sociologues, au nombre desquels Emmanuelle Maunaye, Cécile Vandevelde ou Patricia Loncle, rappellent qu’il n’existe pas une jeunesse mais des jeunesses, c’est-à-dire une diversité de situations et de trajectoires, très différentes selon les milieux sociaux d’origine et les bassins de vie.

Et dans leur quête d’autonomie, tous les jeunes sont loin d’être égaux. La question des inégalités – certains parlent d’« inégalités de destin » – a été centrale dans la manière dont nous avons abordé ce sujet. Elle oriente aussi, en corollaire, la conception que peut avoir tout bailleur social de son rôle et de son action en direction des jeunes.

Dans leurs parcours d’accès à l’autonomie, tous les jeunes ne partent pas sur un pied d’égalité

De quelles inégalités parlons-nous ? Celles auxquelles sont confrontés les jeunes sont d’abord liées à l’origine sociale (cf graphiques p.12 : « Les inégalités en quelques chiffres »). Elles le sont aussi en fonction du lieu où ils grandissent, avec des difficultés plus grandes pour ceux qui résident dans les « banlieues » ou les « quartiers prioritaires », dans les villes moyennes éloignées des grandes agglomérations ou dans les territoires ruraux.

 

Pour la plupart des jeunes dans ces situations et pour leurs familles, accéder aux études supérieures avec la perspective d’un statut social et professionnel satisfaisant demande souvent des efforts plus importants. Des efforts financiers bien sûr, mais aussi culturels et sociaux, dès lors qu’il s’agit d’acquérir les codes et de se constituer les relations indispensables pour « réussir », a fortiori quand cette réussite impose de quitter sa région ou sa ville d’origine.
Les études comparatives à l’échelle européenne mettent en évidence les particularités du modèle français et la manière dont celles-ci renforcent ces inégalités. En premier lieu parce que notre modèle soutient et encourage l’aspiration à l’autonomie des jeunes (l’âge moyen de départ du domicile parental se situe autour de 22-23 ans), tout en entretenant une forte dépendance, en particulier financière, à l’égard des parents.

 

Ensuite, parce que la réussite scolaire joue un rôle déterminant dans les trajectoires professionnelle et sociale. Il faut faire très tôt les bons choix afin de « trouver sa place », or cette pression ne laisse guère de possibilités pour expérimenter, se tromper, se réorienter... Cela pénalise les familles qui doivent consentir à de grosses dépenses pour accompagner la poursuite des études de leurs enfants et les aider à construire leur avenir.

Quel peut être le rôle du bailleur ?

Les conditions d’accès au logement des jeunes interrogent le rôle du parc social et sa capacité à satisfaire leur demande. Les trois quarts des moins de 25 ans titulaires d’un bail sont logés dans le parc privé, un parc certes plus facile d’accès mais dont les logements sont souvent malcommodes et plus onéreux alors que le logement social est en mesure de proposer un habitat décent, mieux adapté, au loyer encadré. Or, la part des moins de 30 ans a fortement diminué dans le parc social au cours des trente dernières années (de 30% à 8%).

 

Un rapide état des lieux réalisé à l’occasion de la conférence de l’Académie d’Habitat en Région a permis de recenser les actions menées par les sociétés d’Habitat en Région en faveur des jeunes. Elles agissent d’abord en tant que bailleurs, en proposant des solutions adaptées de logement et des modalités d’accompagnement répondant à leurs besoins spécifiques.

Mais elles développent aussi de nombreuses initiatives en tant qu’entreprises citoyennes, lorsqu’elles accueillent par exemple des stagiaires de collèges en QPV; ou encore en tant qu’acteurs des territoires et de la cohésion sociale, à travers les colocations solidaires (Kaps), les résidences intergénérationnelles ou les chartes Entreprises & Quartiers.
Ces initiatives couvrent l’étendue du champ et des possibilités d’action du bailleur social en faveur de l’égalité des chances, à la fois dans son cœur de métier et dans l’exercice de sa mission d’intérêt général, ancrée dans les territoires.

Quand les sociologues nous interpellent...

Lors de la conférence de l’Académie d’Habitat en Région, Emmanuelle Maunaye, maître de conférences en sociologie à l’université de Rennes 1, a souligné que le modèle de la famille traditionnelle n’a pas disparu mais qu’il est devenu une possibilité parmi d’autres. Cette évolution remet en question des représentations (et une réglementation) encore fortement marquées par la référence au « logement familial », en dehors duquel les besoins de logement seraient considérés comme spécifiques... Loin de constituer une clientèle à part, les jeunes questionnent au contraire les bailleurs sur leur capacité à s’adapter à la diversité des parcours.

 

Dans cette même conférence, Joëlle Bordet, chercheuse et psychosociologue, rappelait que le rapport au logement des jeunes s’inscrit dans un rapport plus large à « l’habiter », qui participe là encore à la construction de soi et de son rapport au monde, en lien avec les usages du quartier et la manière dont celui-ci interagit avec le territoire environnant. Cela concerne à la fois les jeunes adultes qui deviennent locataires et les enfants des locataires du parc social, qui forgent leur expérience et se structurent bien avant de devenir à leur tour demandeurs de logement.

 

Autant de constats autour desquels doit s’articuler la question du logement dans les parcours d’accès à l’autonomie des jeunes. Car il ne s’agit pas seulement de proposer une offre adaptée, il s’agit aussi d’accompagner un apprentissage de « l’habiter » (se loger, habiter, vivre... dans un logement, un quartier, un territoire) et des parcours de vie dont le logement stricto sensu, s’il est capital, ne représente qu’un des aspects.

LES INÉGALITÉS EN QUELQUES CHIFFRES